vendredi 27 janvier 2017 à 19h30

[Débat] Avec Marx séminaire 2

Avec Marx

- - Séminaires les 26-27 & 30-31 janvier // 19h30

  • PRÉSENTATION GÉNÉRALE

« Tout ce dont nous vivons aujourd'hui ce ne sont jamais que des miettes tombées de la table de la révolution du siècle dernier, et sur de tels morceaux nous avons assez bien mâché et remâché.. » H.Ibsen, cité par W.Benjamin, dans sa liasse sur la Commune de Paris (réédité en 2016 par les éditions Poncerq)

Marx constitue une référence politique majeure. Mais comment l'utiliser aujourd'hui alors qu'il n'a jamais cessé de déclarer que ce sont les conditions matérielles et historiques d'une époque qui déterminent la pensée qu'elle produit ? Si son affirmation est vraie, en retour, sa pensée doit être étudiée depuis de ce qu'elle a compris et permis, en son temps. C'est justement un tel détour historique que nous proposons : non pas actualiser Marx en appliquant sa méthode à la situation actuelle - fuyons l'idéologie ! - mais cheminer avec Marx dans son époque afin de comprendre les options théoriques et pratiques qui ont mené à l'avènement d'une force révolutionnaire sans précédent. L'enjeu n'est pas simplement historique : il ne s'agit pas de brosser un tableau détaillé du XIXème siècle, ni de la vie ou de l'œuvre de Marx mais plutôt de comprendre comment il a su tenir ensemble une analyse fine des situations concrètes ainsi qu'une pensée plus globale qui permette aux diverses situations d'entrer en résonance. Ce sens historique et politique est comme une faculté que nous désirons exercer en la voyant à l'œuvre chez Marx (et Engels). Même si nous avons à faire à une situation nouvelle, même si nous défendons en partie des idées différentes, nous faisons ici le pari que cette faculté, ce muscle, qui leur a permis de penser et d'agir sur le monde, est l'un de leurs héritages le plus important. Avec cependant une précaution : si nous parlons de sens historique, nous le faisons à l'opposé de la tradition déterministe du marxisme de caserne. Faire l'histoire, pour ceux qui luttent, consistera toujours à saisir des fragments dans le passé pour ouvrir des brèches dans le présent. Pour commencer, impossible de ne pas installer le contexte historique.

Économiquement, l'Europe est en train de vivre un bouleversement dont nous sommes encore les héritiers. C'est le passage des sociétés agraires à des sociétés à dominante industrielle avec un fort développement du commerce et une croissance démographique accélérée. Le progrès technique implique une nouvelle perception des distances, du temps, du travail, du lien entre les hommes. Pas un seul aspect de la vie n'est épargné par le nouveau mode de production qui se met en place. Au sein de ces changements Marx a su voir les lignes de conflit. Derrière les statistiques, les lois d'évolution de la population ou encore les variables sociales, il réussit à mettre en avant des partis pris, des camps qui s'organisent et se battent pour défendre leurs positions.

Du point de vue intellectuel, le bouleversement est tout aussi important. Lénine écrit que la pensée de Marx « est le successeur légitime de tout ce que l'humanité a créé de meilleur au XIXème siècle : la philosophie allemande, l'économie politique anglaise et le socialisme français ». Mais s'il s'inspire de ces trois courants, Marx fait surtout rupture avec eux : il les critique longuement tout en en reconduisant les acquis. Contre les excès d'idéalisme de la philosophie allemande, Marx fonde un matérialisme nouveau. L'économie anglaise est, elle aussi, mise à mal. Quand elle parvient à expliquer la réalité (et ce n'est pas toujours le cas), elle fait du système capitaliste le fonctionnement anhistorique, naturel selon lequel les hommes devraient régler leurs affaires. Enfin, Marx a toujours des mots durs envers le socialisme français, tantôt trop utopiste, tantôt trop réformiste. Ce qui frappe, c'est à chaque fois le retour à la réalité que Marx imprime à chacun de ces courants : tous ont le regard fixé sur des concepts, des lois ou des idées, mais ne sont pas assez attentifs à ce qui est là, sous leurs yeux, et qui gronde ; la colère du prolétariat prenant conscience de sa propre puissance.

C'est donc bien sur le terrain des luttes, du conflit, de la guerre voire de la guerre civile que Marx va puiser son originalité. L'enjeu pour lui a toujours été de comprendre le réel comme un champ de bataille où différentes forces s'affrontent, sous des formes plus ou moins larvées ou explicites. Jamais neutre vis-à-vis de ses observations, Marx élabore toujours des stratégies pour mener le combat. Qu'il s'agisse de considérations militaires ou d'une théorie générale du mode de production, la quasi-totalité de son œuvre peut être interprétée comme l'élaboration d'outils pour renverser le régime capitaliste. De cela découle au moins deux axes à examiner : comment les luttes réelles ont-elles bouleversé la théorie de Marx ? Et comment a-t-il lui-même pensé, au travers des formes d'organisation comme la ligue, le parti ou l'internationale, la constitution d'un mouvement révolutionnaire ? De la révolution oubliée de 1848, aux massacres de la Commune de Paris ou des coopératives ouvrières aux grandes grèves du milieu du siècle, l'histoire nous permet de juger de la pertinence des partis pris de Marx.

Telle est notre proposition : revivre une partie de l'histoire du XIXe siècle avec Marx et Engels comme guides. En espérant que ces quatre jours participeront, à la hauteur de leurs moyens, à construire une idée dynamique de notre histoire ; autrement dit, à défaire les illusions des deux siècles passés pour forger de nouveaux horizons révolutionnaires. Et il va de soi que nous n'avons pas la prétention d'être de quelconques spécialistes de la question, c'est pourquoi toutes les suggestions, interventions, exposés supplémentaires ou compléments divers sont les bienvenus.

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  • PRÉSENTATION DÉTAILLÉE

Premier jour. Introduction : entre « l'ère des révolutions » et « l'ère du capital »

La période sur laquelle nous désirons nous concentrer est celle que Hobsbawm a appelé « l'ère du capital » et qu'il situe entre 1848 et 1875. Elle s'ouvre par le fameux « printemps des peuples », vague de révolutions dans une grande partie de l'Europe qui resta malheureusement lettre morte dans les années qui suivirent. L'ère est celle du capital pour deux raisons : l'énorme boom économique des années 1850 précipite le passage dans un monde capitaliste grâce à l'extension du commerce sur tout le globe ; 1867 est l'année de parution du Capital de K. Marx. Comprendre les positions de Marx passe par un retour sur ces deux phénomènes : les révolutions « romantiques » de 1848 où les ouvriers font leur entrée sur la scène politique et l'énorme développement du capitalisme qui leur succède. Tout l'enjeu sera de produire une analyse à la hauteur du mode de production global qui se fait jour pour mieux le subvertir. Pour cela, Marx puise à trois sources : la philosophie allemande, l'économie anglaise et le socialisme français. À chaque pensée il emprunte le strict nécessaire et critique le reste, l'enjeu étant toujours de reposer les problèmes théoriques d'une façon qui permette de les résoudre pratiquement en dépassant l'idéalisme des philosophes, le positivisme des économistes et l'utopisme des socialistes.

Deuxième jour. Marx, philosophe de la praxis : de la Ligue des communistes à la Première Internationale

On distingue deux tendances dans les théories pré-marxistes concernant l'organisation révolutionnaire : tandis que les uns proposent de multiplier des sociétés secrètes conspiratrices qui abbateront par elles-mêmes le pouvoir bourgeois, les autres pensent qu'il faut un travail de propagande préalable à la révolution afin que le peuple entier renverse la domination capitaliste. Marx tente une synthèse de ces deux courants en passant par une philosophie de l'action qui évalue à la fois le rôle des classes et de la conscience ouvrière et celui du parti communiste. On reviendra sur son analyse en jugeant aussi les formes concrètes d'organisations sur lesquelles elle a débouché (Ligue des Communistes, Première Internationale).

Troisième jour. Le rapport de Marx avec les utopistes

Marx n'était pas le premier à parler de socialisme : des penseurs utopistes ont imaginé des systèmes idéaux où l'égalité entre les hommes serait enfin réalisée et la question de la production et de la consommation réglée une fois pour toutes. Des phalanstères aux coopératives de production et de consommation, ces idées et leur mise en pratique ont profondément inspirées le mouvement ouvrier naissant. Marx cerne les écueils de ces philosophes qui, à trop penser des sociétés parfaites, en oublient les possibilités concrètes de renversement du capitalisme. Ils sont jugés socialistes mais contre-révolutionnaires, ils sont critiqués pour leur utopisme qui va jusqu'à rêver une symbiose entre les industriels et les travailleurs. Marx et Engels refuseront toujours de formuler la possibilité d'une alternative au Capital. Mais les reproches qu'ils ne cessent de préciser tout au long du siècle nous aident à comprendre la manière dont ils pensent la question du futur, de l'horizon révolutionnaire.

Quatrième jour : La Commune et le dernier Marx

Alors que les positions de Marx et Engels commencent à peine à avoir de l'audience en Europe, notamment grâce à la Première Internationale (1864), survient la guerre franco-prussienne et surtout la Commune de Paris (1871) : si Marx se tient d'abord à distance de l'événement, il en reconnaît vite la potentialité révolutionnaire et en tire certaines leçons. D'abord, il révise sa théorie de l'État : il ne suffit pas de faire tourner à son compte l'appareil d'État, il faut le détruire et reconstruire des institutions nouvelles. Ensuite, au cours des années 1870, il s'intéresse de plus près à d'autres formes politiques : les communes rurales de Russie. Par là, il ouvre d'autres voies pour penser la révolution, en dehors de la grande histoire dialectique qui fait du prolétariat le sujet révolutionnaire, comme l'a voulu la tradition.*

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  • FEUILLE DE ROUTE DES 4 JOURS

Premier jour. Introduction : entre « l'ère des révolutions » et « l'ère du capital »

  • I. Le contexte historique : économie et politique.

Problème : quels sont les changements majeurs qui configurent le XIXe siècle au moment où Marx se met à écrire et en quoi favorisent-ils l'émergence d'une pratique et d'une pensée révolutionnaires ?

  1. La révolution industrielle ou « L'ère du capital ».
  2. « L'ère des révolutions » et le printemps des peuples.
  • II. Les racines intellectuelles de Marx et les fondements du matérialisme.

Problème : comment la pensée de Marx parvient-elle à analyser la situation d'une manière qui lui permette d'avoir prise dessus ?

  1. La philosophie allemande.
  2. L'économie anglaise.
  3. La politique et le socialisme français.

Deuxième jour. Marx, philosophe de la praxis : de la Ligue des communistes à la Première Internationale.

Probléme : Qu'est-ce que Marx a apporté à la question du lien entre théorie et pratique par rapport aux autres penseurs socialistes ? Quelle est le rôle, en suite d'une telle pensée, a-t-il donné aux organisations ?

  • I. Présentation des courants et de la pensée des socialistes pré-marxistes (Dézamy, Buonnaroti, …).
  • II. Analyse du parcours du jeune Marx sur le lien entre théorie et pratique.
  • III. Lien de Marx avec les organisations de son époque : La Ligue des Communistes et la Première internationale.

Troisième jour. Le rapport de Marx avec les utopistes.

Probléme : Marx n'imagine que peu l'après du capitalisme, et il fut, dans le même mouvement un lecteur et un critique acerbe de toutes les utopies sociales de son temps. Quelle est le lien qu'il entretient avec cela, et comment rouvrir pour le présent la question du futur ?

  • I. Présentation des théories de Fourier, Saint Simon et Robert Owen.
  • II. Rapport de Marx aux socialismes utopiques.
  • III. Continuation de la pensée utopique : Kropotkine et Landaeur.

Quatrième jour : La Commune et le dernier Marx.

Probléme : qu'est-ce qui a permis à la Commune de l'emporter un temps et qu'est-ce qui doit nous inspirer là-dedans ? Puis, comment penser d'une part sans LE sujet révolutionnaire et d'autre part le dépassement de la multiplicité des communes rurales ?

  • I. Contexte historique et politique de la Commune de Paris.
  • II. Quelques aspects de la Commune vue par Marx.
  1. Aspect militaire.
  2. Aspect politique.
  • III. Les leçons de la Commune.
  1. Le problème du nationalisme.
  2. La question de l'État.
  • IV. De la Commune de Paris aux Communes rurales.

Source : https://maisondelagreve.boum.org/Avec-Marx-Se...